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On va s’en sortir ?

Par Gilliane Richard

Depuis que tu es né et avant que ça devienne ta question rituelle, ce fut la mienne.

Je me revois prés de toi la tête déformée, intubé, le jour de ta naissance, te parlant dans un téléphone, ne pouvant t’approcher et me disant On va s’en sortir ? Est-ce que tu vas vivre ?

Et tu as vaincu.

Je te revois 3 ans plus tard commencer à avoir un comportement que les autres qualifient de bizarre. Te conduire à l’école maternelle, ne pas emprunter le bon chemin, et te voir te rouler par terre. Je te revois manger de moins en moins pour ne finir par ne manger presque plus rien. Je revois l’institutrice un air consterné te regarder. Je te revois changer. Je te revois mettre des coups de pied à toute personne qui osait m’approcher et me parler. Je te revois me faisant d’intarissables discours que les autres ne comprenaient pas. Je te revois jouer constamment à aligner tes dinosaures.

Je nous revois traversant la France, suppliant les soit disant grands spécialistes de te rencontrer. Je les revois ne pas savoir et toutes sortes de diagnostic tomber. Je nous revois quand le mot autisme a été prononcé. Et plus précisément Syndrome d’Asperger atténué. Je me revois sur Internet dévorant tout ce qui en parlait et me disant On va s’en sortir ?

Je me revois quand un psy nous a dit qu’il fallait te déscolariser et que je n’ai pas cédé. Je revois les cartons d’anniversaire à la sortie de l’école priant pour que tu en aies un et il n’y en avait jamais.

Je les revois les autres te scrutant à l’affût de ce que tu pourrais dire ou faire.

Je revois comme j’étais fière quand on a gagné et que tu es allé à l’école primaire. Et je te revois pour la première fois me demandant tes yeux bleus si merveilleux plongés dans les miens Mais maman on va s’en sortir ? et moi te répondant Oui.

Je revois les autres enfants lire en CP et toi si triste de ne pas y arriver. Je nous revois ne sortant plus puisque tu détestais ça. Je revois les autres ne plus nous inviter, la famille s’éloigner et les amis s’éclipser.

Je me revois quand j’étais trop fatiguée m’enfermer dans ma chambre et j’entends tes hurlements, tes coups de pied, tes Maman puisque tu me voulais tout le temps. Je revois tant de choses.

Je revois ton institutrice pleurant fin CE2, me racontant toi lisant et tous les autres t’applaudissant.

Je les revois, les autres, quand j’ai parlé de collège, prenant un air apitoyé et pensant que je devais être folle. Et toi toujours inlassablement des dizaines de fois par jour me demander Maman on va s’en sortir ? pour tout. Tes devoirs, la nourriture, les autres tout ce qui t’inquiétait.

Je me revois le jour de la rentrée pleurer dans la cour du collège en entendant la principale t’appeler, moi à qui on avait dit de tout laisser tomber. Je te revois y allant en taxi et quand tu as commencé à comprendre que quand les autres parlaient d’handicapé, c’était toi qui étais concerné. Je me revois t’expliquant, expliquant aux autres et je revois surtout que personne ne comprenait rien. Je te revois rentrer le soir lassé d’avoir le mot Asperger encore expliqué.

Je revois ces 4 dernières années. Je te revois toi qui ne devais jamais savoir lire dévorant tes bandes dessinées.

Je te revois tous les jours avec ton panier repas, toi qui ne mange que quelques aliments. Je te revois ne pas pouvoir mélanger 2 aliments. Sentir les aliments. Mon adieu aux restaurants avec toi avait été fait depuis longtemps.

Je revois les autres sceptiques me demandant, n’y croyant pas, comment tu te débrouillais au collège.

Et je te revois faire des équations comme si tu t’amusais.

Je te revois me disant ne plus vouloir de taxi pour aller au collège et prendre le bus Je vais m’en sortir maman ?

Je me revois te guettant, tremblant devant tous ces changements. Et toi toujours triomphant.

Je nous revois récemment à la porte ouverte du lycée. Je les revois les autres avec stupeur nous regarder. Je les entends me demander dans quelle filière tu allais aller. Je les revois surtout se demander ce que nous faisions là.

Je te revois visiter les salles de chimie avec bonheur. Les enfants des autres chahutaient mais quand j’ai parlé de ton syndrome aux professeurs, c’est toi qu’ils ont regardé. Je vois leur regard pas enchanté.

Je me revois tout récemment te dire que ton papa voulait divorcer et tes yeux une fois de plus toujours aussi bleus se poser sur moi et toi me demander Maman on va s’en sortir ? Oui et je la revois ta confiance en moi qui me fait tant de bien.

Je te vois il y a quelques jours, tu as 15 ans. Tu mesures un mètre 80, tu es en pleine santé et pourtant je revois les autres me répéter que tu ne pouvais pas aller bien en ne mangeant que quelques aliments. Tu t’arrêtes toujours au même endroit dans ton bol de céréales. C’est ta ligne imaginaire. Et pour finir je te revois ce matin partir pour ton brevet blanc. Maman je vais m’en sortir ? Oui.

Et je me vois parlant de toi et ne pouvant plus m’arrêter. Est-ce que quelqu’un a écouté ?

Je suis à la maison, je t’attends. Je t’attendrai toujours. Tu m’as demandé il y a quelques jours si je serai là toute ta vie. Mon amour, mon enfant chéri, c’est Oui.

Tu commences à regarder d’autres femmes et on me dit qu’un jour tu vas partir, de profiter de penser à moi, pour l’instant il y a Toi.

Toi qui vas arriver dans quelques heures. À ton premier regard je saurai si aujourd’hui tu t’en es sorti. On va se réjouir ou je vais te réconforter, te rassurer. Tu vas manger comme tous les soirs la même chose. Je te regarderai dans ton lit, je t’embrasserai.

Et je me coucherai remplie de mon amour pour toi. Terrorisée par l’avenir, mais persuadée qu’on va s’en sortir.

Rennes le 12 mai 2011

Pardon à mes 2 filles que j’aime profondément de ne pas avoir parlé d’elles.


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