Je voulais essayer de changer le discours mondial sur l’autisme
Article paru dans Link (Édition française) - N° 64 - Décembre 2015, pages 4 & 5, écrit par Steve Silberman, auteur de NeuroTribes : The Legacy of Autism and the Future of Neurodiversity (L’héritage de l’autisme et le futur de la neurodiversité).
Steve Silberman est un écrivain américain vivant à san Francisco où il est surtout
connu pour sa contribution au magazine Wired, qui présente des reportages sur la science et
la technologie. NeuroTribes, publié en 2015, est une investigation sur l’autisme, son
histoire, et les personnes autistes. C’est devenu le premier livre scientifique à remporter
le prix samuel Johnson. Cet ouvrage a été loué par le jury de ce prestigieux prix de non fiction
pour avoir insufflé une touche d’espoir dans un discours habituellement dominé par le
pessimisme
.
NeuroTribes retrace et explore les premiers jours de la recherche sur l’autisme. Il relate le parcours courageux et solitaire des personnes avec autisme et leurs familles à travers les décennies. L’ouvrage de Silberman, qui explore l’approche que la société a de l’autisme à travers les décennies et les siècles, nous montre le chemin vers un monde plus humain où les personnes handicapées et leurs proches ont accès aux ressources dont ils ont besoin pour être heureux, en bonne santé, se sentir en sécurité et mener une vie plus épanouie.
En décembre 2015, Autisme-Europe a interviewé Steve Silberman sur son livre qui connaît un succès retentissant et sur ce qu’il pensait de certains thèmes qui occupent une place centrale dans le travail mené par Autisme-Europe et ses membres.
Vous avez expliqué, dans le premier chapitre de NeuroTribes, d’où était venu cet intérêt particulier pour l’autisme, mais pourquoi croyez-vous qu’il est si important de comprendre l’histoire de l’autisme ?
Les médias faisaient beaucoup de bruit autour de l’autisme mais cela concernait toujours l’autisme et la vaccination et le fait de savoir si les vaccins pouvaient être la cause ou non de l’autisme. Et même s’il était question d’autre chose, les sections de commentaires finissaient toujours par être submergé d’arguments en lien avec la vaccination.
Même les journaux réputés comme le New York Times, en rédigeant des articles sur
l’autisme, considéraient toujours comme mystérieuse
l’augmentation
significative du nombre de personnes diagnostiquées avec autisme, une augmentation qui a démarré
dans les années 1990. J’ai dès lors décidé que la seule façon d’apporter des
éclaircissements sur ce mystère était de retourner en arrière, bien avant le commencement officiel
de l’histoire de l’autisme et essayer de comprendre ce qu’il en était.
Souhaitiez-vous changer la perception que les gens pouvaient avoir de la question et orienter le débat dans une autre direction ?
Exactement. C’était presque sans espoir, mais j’ai voulu essayer de changer le discours mondial sur l’autisme qui, même s’il ne concernait pas toujours la vaccination, restait très axé sur les causes potentielles de l’autisme. Pour cette raison, il m’a semblé que les médias, qui influencent les programmes de recherche, surtout aux États-Unis, étaient tellement focalisés à rechercher la cause de l’autisme que nous étions en train de faire l’impasse sur les problèmes très importants auxquels sont confrontés les personnes autistes et de leurs familles.
… il m’a semblé que les médias, qui influencent les programmes de
recherche, surtout aux États-Unis, étaient tellement focalisés sur la recherche des causes de
l’autisme que nous étions en train de faire l’impasse sur les problèmes des personnes
avec autisme et de leurs familles
Votre livre contient beaucoup de récits déchirants mais aussi réconfortants. Un témoignage vous a-t-il marqué en particulier ?
Oui, j’ai été très touché par le parcours de Craig et Shannon Rosa, la famille décrite
dans le chapitre The Boy who Loves Green Straws
(le garçon qui aime les pailles
vertes) parce que ce sont des gens intelligents et lorsque leur fils Leo a été diagnostiqué
autiste, ils ont été confrontés aux prévisions alarmistes habituelles des cliniciens et des
médias, surtout parce que Leo était né en pleine période d’hystérie médiatique sur les
vaccins.
On leur a dit que leur fils n’avait aucun futur. Ils ont fini par se convaincre que les vaccins avaient fait de Leo un enfant autiste et pour commencer, ils ont emprunté le chemin de beaucoup de parents dans leur situation. Ils ont d’abord essayé de guérir l’autisme de Leo avec des régimes mais ça n’a pas fonctionné.
Finalement, Shannon et Craig ont accepté la situation de leur fils et décidé de l’aimer
et de le soutenir comme il est. Ils ont cessé de penser en termes de remèdes et de vaccins pour se
demander Que peut-on bien faire pour l’aider à maximiser son potentiel, de quelque façon
que ce soit ?
En consultant la bibliographie, nous constatons que NeuroTribes est le fruit d’une étude approfondie. Au cours de vos recherches, avez-vous trouvé des informations auxquelles vous ne vous attendiez pas ?
Oui. Cela m’a pris cinq années de recherche. Je ne m’attendais pas à ce que Hans Asperger (pédiatre autrichien, théoricien médical, professeur de médecine dont le travail a contribué, plus tard, à notre compréhension de l’autisme en tant que spectre) et Leo Kanner (psychiatre austro-américain et physicien connu pour avoir identifié le premier l’autisme chez les enfants) aient eu des relations en commun, parce que l’histoire de l’autisme soutient que ces deux découvertes ont été réalisées indépendamment. Cela m’a donc fort surpris. En bref, ce qu’il s’est passé, c’est que j’étais en train de lire l’hommage à Irwin Lazar (fondateur de la clinique à Vienne ou exerçait le docteur Asperger) et j’y ai vu le nom de Georg Frankl. Ensuite j’ai lu une autobiographie inédite de Leo Kanner où j’ai retrouvé le nom de Georg Frankl.
Je me suis demandé où j’avais bien pu voir ce nom auparavant puis j’ai réalisé que
c’était le nom qui apparaissait dans l’article historique de Leo Kanner qui avait
marqué la découverte de l’autisme en 1943. J’ai d’abord pensé qu’il
s’agissait d’une autre personne mais il s’est avéré que c’était le même
homme. Grâce à ce lien, j’ai pu trouver un journal que Georg Frankl avait rédigé sur les
personnes avec autisme et leurs familles, après son départ pour l’Amé- rique. Il faisait
mention d’un continuum autistique
à une époque où le concept du spectre autistique
n’existait pas encore (il avait rédigé son article en 1950 à l’Université de Kansas).
Cela suggère que le travail de la clinique Asperger a alimenté la découverte de Kanner et que
celle-ci n’a pas eu lieu d’une façon complètement indépendante.
Je ne m’attendais pas à ce que Hans Asperger et Leo Kanner aient eu des relations en
commun, parce que tous les ouvrages sur l’histoire de l’autisme soutiennent que les
deux découvertes ont été réalisées de manière indépendante
.
Pensez-vous que la communauté de l’autisme ait significativement contribué à façonner le monde ?
Oui, beaucoup. Toutefois je tiens à rester prudent, je pense que de nombreuses personnes qui ont façonné la technologie digitale que nous utilisons aujourd’hui ne sont pas forcément autistes, mais ont des traits autistiques.
Il y avait un livre écrit dans les années 1980 sur la Silicon Valley qui avait pour titre
Silicon Syndrome
. Il traitait des problèmes relationnels que les femmes avaient avec
leurs époux qui semblaient avoir très peu d’amis ainsi que des intérêts très spécifiques. En
d’autres termes, Silicon Syndrome donnait une très bonne description du syndrome
d’Asperger, avant même que le terme n’eût été inventé.
Dans le chapitre 11 vous vous intéressez aux auto-représentants (self-advocates), et vous parlez d’auto-représentants bien connus en Amérique. Chez Autisme_europe, l’implication des auto-représentants nous tient à cœur. selon vous, que peuvent-ils apporter au mouvement de représentation des droits des personnes autistes, par rapport à quelqu’un qui ne serait pas atteint d’autisme ?
Les auto-représentants savent mieux que personne ce que c’est de vivre en étant autiste. Ils sont capables de vous dire ce que cela représente de faire l’expérience du monde qui nous entoure avec un cerveau autistique. Je ne prétends pas que les cliniciens ne sont pas des experts. Les cliniciens sont des experts dans la description clinique de l’autisme, mais les personnes avec autisme peuvent nous montrer de l’intérieur à quoi ressemble la vie des personnes avec autisme et nous dire réellement quels sont leurs besoins et ceux de leurs familles. Les personnes avec autisme, dans des groupes tels que l’Autistic Self-Advocacy Network d’Amérique (Réseau d’auto-représentation de l’autisme) mettent davantage l’accent sur la façon dont on peut aider les personnes avec autisme et leurs familles, ici et maintenant.
Ce que j’apprécie chez la National Autistic Society au Royaume-Uni lorsque je leur
rends visite, c’est qu’ils font participer des personnes autistes à leurs événements,
et pas seulement les personnes dites de haut niveau
mais aussi les personnes non verbales.
L’audience comporte aussi des parents, des cliniciens et des chercheurs, donc le groupe est
très diversifié et les espaces sont conçus pour être adaptés à l’autisme.
Les personnes autistes savent mieux que personne ce que c’est de vivre en étant
autiste et nous dire quels sont réellement leurs besoins et ceux de leurs familles. Les personnes
avec autisme […] mettent davantage l’accent sur la façon dont on peut aider les
personnes avec autisme et leurs familles, ici et maintenant.
Selon vous, de quoi avons-nous besoin pour avancer vers plus de tolérance dans la société ?
Je pense qu’il est très important d’inclure les perspectives des auto-représentants dans les médias, lorsqu’il s’agit de l’autisme. Pendant des décennies, les débats sur l’autisme, dans l’actualité, se faisaient sans eux, comme s’ils n’avaient pas d’opinion et qu’ils ne savaient même pas parler. Pour cette raison, je pense que donner la parole aux personnes avec autisme dans les médias contribuera à dé-stigmatiser leur condition.
Je pense aussi que nous pourrions contribuer à plus de tolérance si nous arrêtions
d’utiliser le terme épidémie
pour décrire l’augmentation de la prévalence.
Lorsqu’on entend ce mot, on pense à fléau, contagion, germes, maladies…
Épidémie
est un terme très stigmatisant. En l’utilisant, tout ce que l’on
gagne, c’est de stigmatiser davantage l’autisme.
Comment la communauté autiste a-t-elle accueilli Neurotribes ?
J’ai reçu de l’Autistic Self-Advocacy Network, qui est probablement l’organisation d’auto-représentants la plus éminente des États-Unis, le prix du livre de l’année. Donc ils ont beaucoup aimé mon livre.
Pensez-vous venir en europe prochainement ?
Je n’ai rien de prévu mais si des organisations souhaitent m’accueillir, qu’elles se sentent libres de le faire ! (rires). Je n’ai rien de prévu pour le moment, mais cela serait avec plaisir. J’ai participé à deux événements de la National Autistic Society. J’ai assisté à la Conférence Professionnelle de la National Autistic Society à Harrogate et c’était en fait le premier événement public auquel j’ai participé dans le cadre de ce livre. Ce qui m’a parti- culièrement touché, c’est le fait que certaines personnes qui apparaissent dans mon livre étaient aussi présentes, comme Judith Gould. C’était une expérience riche en émotions.
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