Question :
Vous avez utilisé le terme de reconstruction.
Cela signifie-t-il qu'il y a eu destruction ?
Pascale Planche :
Il n'y a pas eu destruction, mais une construction bancale avec des difficultés.
Accepter les différences permet d'aller plus loin.
Question :
Il semble aujourd'hui que la notion de handicap est de plus en plus mise de côté, notamment au profit du terme « différence ».
Éric Lemonnier :
Il y a aujourd'hui consensus sur le fait que l'autisme est dû à des maladies neurodéveloppementales précoces.
Dès les premiers moments d'interaction (déjà in utero), les choses sont marquées.
L'enfant ne s'est jamais construit que différemment depuis le début.
Le débat actuel porte sur l'existence ou non d'une maladie, l'existence ou non d'un handicap, l'existence ou non d'une différence.
En fait, il s'agit d'une maladie (car il existe des causes pathologiques) qui provoque un handicap plus ou moins important.
Les termes de ce débat dépendent de la place qu'on occupe.
Pascale Planche :
Les liens ne sont pas exclusifs.
Quelqu'un de handicapé présente des différences par rapport à la population.
Les autistes revendiquent de ne pas être perçus comme handicapés,
mais comme la partie de la population qui saisit les informations de telle manière.
Cela dépend de la capacité d'adaptation dans la vie de tous les jours.
Après, la perception des choses en global ou en séquentiel n'a pas d'importance.
Alain Lazartigues :
Le monde est fait pour les neurotypiques.
La question est de savoir s'il vaut mieux aider les enfants à fonctionner comme des neurotypiques
ou les aider à se développer selon leurs capacités, dans leur logique développementale
et de faire en sorte qu'il y ait quand même des échanges riches avec les neurotypiques.
L'hôpital de jour s'organise autour de ces deux derniers objectifs.
Question :
L'attitude est différente selon qu'on se considère ou non en position de supériorité par rapport à son interlocuteur.
Éric Lemonnier :
Le problème, c'est que les outils de calibrage sont fabriqués à la lumière
du développement traditionnel, alors que le développement de ces enfants ne se fait pas comme celui des autres.
Les enfants autistes, par exemple, rattrapent le retard accumulé dans l'année scolaire
pendant les vacances et arrivent à niveau à la rentrée de septembre.
Pourquoi pendant les vacances ?
Certainement parce que ces enfants, pendant l'été, ne se reposent pas vraiment, ils ne rêvassent pas,
ils se répètent mentalement tout ce qu'ils ont vu dans l'année et ils progressent ainsi.
Question :
Nous avons évoqué la difficulté de communication des personnes avec autisme.
Vous, les soignants, avez accès à leur parole.
Ce sont les mieux placés pour parler d'eux-mêmes. Comment diffuser leur parole ?
Réponse collégiale :
Vous trouverez de nombreux témoignages sur Internet, dans des livres …
Éric Lemonnier :
Les personnes autistes ne sont pas habiles à nous dire comment ils fonctionnent cognitivement,
mais ils le sont à nous expliquer comment ils fonctionnent dans le monde.
Question :
La parole vient-elle toujours aux personnes autistes ?
Éric Lemonnier :
Il faut savoir s'il existe un retard mental associé ou non.
70 % des personnes autistes développent un langage fonctionnel,
mais seulement 25 à 30 % en cas de retard mental associé (souvent étiologie génétique épaisse).
Le langage peut cependant apparaître quand même, mais à force de répétition.
Ce développement du langage est déterminant.
Le langage s'accompagne d'une représentation mentale polysémique.
On a très longtemps pris en compte la théorie du désir du langage,
mais aujourd'hui des méthodes orthophoniques très spécifiques
(notamment la méthode PECS qui permet de stabiliser la représentation mentale)
montrent une très grande efficacité.
Alain Lazartigues :
D'ici trois ou quatre mois paraîtra le rapport sur l'ensemble des prises en charge
proposées pour les enfants qui présentent des symptômes autistiques.
Il s'agit d'un catalogue descriptif, libre d'accès, qui inclut des analyses d'efficacité.
Question :
Il est caractéristique que, même dans un forum pour les adolescents et les jeunes adultes,
on en revienne toujours à l'enfant.
Mais les familles font face ensuite à un isolement progressif.
Que se passe-t-il pour les adultes ?
Avez-vous des lieux de ressource ?
Alain Lazartigues :
On s'est d'abord intéressé aux enfants parce qu'il s'agissait d'une priorité définie dans les années 1980-1990.
Les adultes sont maintenant une grande priorité nationale.
Nous ouvrons à l'hôpital un pôle adulte.
Je pense en outre qu'il est important d'embaucher des personnels Asperger, comme Éric Lemonnier en a eu l'idée.
Éric Lemonnier :
Il faut que les adultes avancent dans une qualification professionnelle réelle.
Ce qui les préserve, c'est leur haut degré de technicité, mais le travail, c'est compliqué.
Ils ne peuvent pas rattraper leurs faiblesses par les relations sociales.
Question :
Comment passer le difficile passage des entretiens d'embauche ?
Éric Lemonnier :
Il faut que l'employeur soit protecteur.
L'idée serait de former des réseaux avec des parents d'enfants autistes.
Question :
Pensez-vous qu'il faille faire le choix de l'apprentissage ou de l'enseignement général ?
Éric Lemonnier :
Ça dépend des possibilités de chacun et de l'exigence
qui entoure l'enfant (parents, professionnels …).
Je sais que l'enseignement traditionnel (par opposition aux CLIS et autres)
favorise par exemple l'apparition de la théorie de l'esprit.
Les apprentissages scolaires permettent d'avancer dans le maniement de la complexité du monde.
Je suis exigeant et optimiste :
il faut maintenir à tout prix les enfants autistes, Asperger, le plus longtemps possible dans une scolarité traditionnelle.
L'idée n'est pas de favoriser spécialement les études supérieures
mais de laisser à ces enfants le temps d'acquérir un maximum de moyens pour se débrouiller dans la vie quotidienne.
Alain Lazartigues :
Il est nécessaire que les entreprises acceptent, comme l'école, une forme d'intégration.
Il faut pouvoir aider les employeurs à acquérir les savoirs nécessaires à l'accueil d'une personne autiste.
Éric Lemonnier :
Les autistes ne cessent pas d'apprendre et de s'enrichir et rien n'est jamais joué.
A contrario, rien n'est jamais non plus acquis définitivement
et l'on n'est jamais à l'abri d'un cataclysme, avec des pertes importantes.
Question :
Serait-il possible d'intégrer dans un réseau les employeurs passés qui pourraient,
lors d'un entretien d'embauche, témoigner des capacités de leurs anciens employés ?
Pascale Planche :
Il faut prévoir une préparation à l'entretien d'embauche.
Question :
N'y a-t-il pas au départ un problème de l'attention à l'autre de la part de l'employeur ?
Éric Lemonnier :
Même avec une préparation l'exercice de l'entretien reste très difficile.
Chaque situation est unique, donc, au moindre changement, tout est à recommencer.
Cela appelle l'idée de la généralisation.
Ce sont les expériences de vie les plus nombreuses possibles qui leur permettront d'évoluer.
Question :
Certains handicaps peuvent être atténués par des adaptations de postes,
mais le cas de l'autisme est un peu particulier.
Il met en jeu à la fois la productivité, l'autonomie, le regard des autres travailleurs …
Éric Lemonnier :
Le travail posté semble a priori être une bonne idée,
mais l'employé se retrouve à chaque fois, du point de vue de la productivité, bien souvent en difficulté.
Le domaine à privilégier serait plutôt l'artisanat, où la technicité, plus que la rapidité, représente un facteur de rentabilité.
Il faut mieux éviter tout ce qui nécessite une capacité de synthèse.
Question :
On semble découvrir, en France, l'autisme de haut niveau ou le syndrome d'Asperger
alors qu'il est connu à l'étranger depuis longtemps.
N'y a-t-il pas de leçons à tirer de l'étranger ?
Éric Lemonnier :
Nous avons à faire là à deux modèles différents de société.
Le monde anglo-saxon est construit sur le modèle communautaire.
La France est de tradition plus intégrative.
Il n'est pas question de créer une communauté d'autistes, mais d'aider les autistes à s'intégrer.
Je suis paradoxalement plus rassuré par ce qui se passe ici.
Pierre Le Hunsec :
Il faut faire attention à ne pas faire entrer un autiste dans une entreprise
avant qu'il soit prêt à avoir des relations sociales « normales ».
Le directeur des ressources humaines aura beau jeu d'embaucher un autiste,
mais ce seront ses collègues qui passeront leurs journées avec lui.
Pascale Planche :
Le problème c'est que si l'on attend qu'il soit prêt, il ne sera jamais embauché.
Il y a de toute façon une période d'essai.
Question :
Les relations de travail sont déjà difficiles avec des neurotypiques.
Pourquoi ne pas accompagner les travailleurs autistes d'auxiliaires de vie, comme dans les écoles ?
Éric Lemonnier :
Il est évident qu'il y a un grand intérêt à pouvoir, pour un employé autiste,
aller chercher quelqu'un pour demander de l'aide, y compris pour la vie quotidienne.
Pierre Le Hunsec :
Nous devons les aider dans toutes les étapes de la vie quotidienne, pour le budget …
Il est surtout nécessaire de leur apprendre à prévoir.
Question :
Il faudrait permettre une intégration sociale plus large que le travail :
un logement, la vie dans la ville …
Même sans travail, la possibilité d'une vie sociale autonome leur permettra de trouver un équilibre
et éventuellement un emploi par la suite.
Éric Lemonnier :
Il faut aider au cas par cas, au coup par coup.
Question :
La vie affective, amicale ou sexuelle, devient parfois obsessionnelle.
Pierre Le Hunsec :
Les personnes autistes sont souvent à la recherche de relations sociales.
Elles sont capables de s'auto-former, elles s'invitent entre elles …
Éric Lemonnier :
Il faut faire attention au communautarisme, qui tend à enfermer plutôt qu'à intégrer.
Être là ailleurs, ce n'est pas être là.
Pierre Le Hunsec :
On part de ses propres capacités et on élargit ensuite.
Question :
Il faudrait aussi imaginer des solutions pour organiser de courts éloignements de la famille,
car tout de monde a besoin de souffler.
L'administration est très rigide, on ne peut pas tout avoir, CAT et vacances.
Comment faire ?
Éric Lemonnier :
Il y a de ce point de vue des besoins très importants.
Il est évident qu'il y a quelque chose à inventer dans la post-scolarisation et les prises en charge relais.