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Parcours de Lila, 23 ans

L

ila est une jeune fille dont le diagnostic de syndrome d'Asperger a été posé par le CIERA de Brest en septembre 2004. Elle est actuellement étudiante en master. Voici quelques éléments pour comprendre son parcours :

Petite enfance de Lila

C'est un premier enfant très désiré. Lila naît prématurément, aux forceps, en 1983, et passera deux semaines en couveuse. Les deux semaines précédant l'accouchement,nous avons été toutes les deux sous perfusion de valium pour retarder la naissance.

Les cinq premiers mois sont plutôt pénibles au niveau de l'alimentation et du sommeil. Cela va s'améliorer par la suite, sauf pour le sommeil qui restera toujours un problème : endormissement difficile, puis réveils nocturnes accompagnés de pleurs.

Dans la journée, c'est une enfant ouverte et souriante en famille, mais elle semble ignorer les personnes qui ne font pas partie de son entourage proche, notamment les cousins et enfants d'amis de son âge. Elle dit ses premiers mots avant un an, et parle très correctement et avec un très bon vocabulaire, pour ses 2 ans. Elle marche à 13 mois

Nous lui lisons beaucoup d'histoires. Vers ses 2 ans, elle ne nous réveille plus la nuit, car elle meuble ses réveils nocturnes en feuilletant ses livres.

Progressivement, elle se replie sur elle-même et sur son monde intérieur. Lors de ma 2ème grossesse, je la confie à une assistante maternelle pendant quelques heures. Elle se révèle difficile, notamment vis à vis des autres enfants, mais nous n'en saurons pas beaucoup plus.

Après la naissance de sa sœur (Lila a 26 mois), je prendrai un court congé parental, puis son père prendra le relais pendant 6 mois, ce qui fait qu'elle restera beaucoup dans le milieu familial.

Nous la préparons à l'arrivée de sa sœur mais, à sa naissance, elle ne lui accorde aucun intérêt et, avec le recul, je pense qu'elle ne s'est pas rendue compte de sa présence pendant de nombreuses années.

Elle s'isole beaucoup à la maison pour lire ou faire des puzzles, elle commence à avoir un comportement de plus en plus étrange, comme le fait de tourner sur elle-même, de continuer à lire dans une mare de pipi … Elle cherche également à s'enfuir dans les bois environnants, à grimper aux arbres, nous sommes amenés à grillager la cour.

Première période scolaire (2 ans ½ à 6 ans)

Elle rentre en maternelle à 2 ans et 6 mois. Je me rends compte qu'elle ne réagit pas lorsque les autres enfants l'interpellent, mais aucun comportement étrange ne nous est signalé. Les autres enseignantes nous diront peu de choses également, sans doute parce que je les connais …

Elle dessine mal et, plus tard, écrira très grand (une dizaine de mots par page) et très mal également ; cela s'améliorera par la suite. Elle est gauchère. Elle apprendra seule à lire vers 5 ans (avec mon aide pour quelques associations de lettres et de sons, pendant quelques jours).

Lorsqu'elle est en moyenne section, elle passe la visite médicale scolaire. L'équipe médicale me convoque car elle a remarqué qu'elle était totalement isolée dans la classe. Lors de l'entretien, elle est « absente », comme d'habitude, et ne dit rien. Questionnée sur ses problèmes de sommeil, je dis que j'en ai également. Je sors de l'entretien avec cette injonction : « Madame, il faut vous soigner ». Je suis à la fois déstabilisée et insatisfaite, car je n'ai pas pu obtenir d'éclaircissements, et je me sens accusée d'être à l'origine de ses troubles.

À noter que je m'investis beaucoup auprès d'elle, mais son père est également très présent, car il a pris un temps partiel pendant 10 ans. Il s'en occupe donc seul le mercredi, et il est moins affecté par son étrangeté. Il retrouve chez elle certaines attitudes, certains types de fonctionnement qu'il partage ou a partagé. Il va donc freiner la prise en charge médico-psychologique.

Vers 5/6 ans, elle passe par une période d'un an environ, pendant laquelle elle ne communique plus du tout : elle parle peu, et totalement hors contexte. Quand on lui pose une question, elle répond ce qu'elle a en tête à ce moment-là. En même temps, elle commence à développer des périodes cycliques très violentes sur le schéma suivant : elle se replie sur elle-même de plus en plus, et à la fin d'un cycle elle hurle, se débat, tape sur tout ce qui est à sa portée, sans raison apparente. Lorsqu'elle se calme, elle semble reprendre contact avec la monde, puis le cycle reprend. Chaque cycle dure 2 semaines environ.

Nous prenons rendez-vous avec le CMPP, où elle sera suivie par un psychologue. Tous les trimestres, nous faisons le point avec une psychiatre. Elle progresse peu à peu, mais reste très étrange. Les crises de violence s'espacent lentement, puis disparaissent. J'avoue avoir craint qu'elle ne se suicide à 6 ans, tant elle semblait enfermée dans une violence intérieure incontrôlable. Elle retournera cette violence contre son psychologue, qui en a vu et entendu de « toutes les couleurs ». Au bout de 2 ans, elle ne supportera plus les séances hebdomadaires, nous décidons donc d'arrêter la thérapie au CMPP. Hormis des visites irrégulières chez un pédiatre, et des tentatives auprès de deux psychiatres et d'un thérapeute, elle n'aura plus de suivi médical particulier. Nous n'avons jamais eu de diagnostic (entre névrose et psychose …). Nous avons seulement eu confirmation qu'elle avait un bon QI.

À partir de cette période, je crains tellement ses réactions en public que nous espaçons les relations avec la famille et les amis. Avec sa sœur, Lila se laisse faire en général, et cède tout par indifférence aux choses matérielles.

Période 6-11 ans

À l'entrée en CP, elle a un maître. Tout semble aller bien le premier jour, mais je suis convoquée le 2ème jour de classe. J'apprends que la veille, elle a refusé de rentrer en classe, faisant un sit-in sur la cour. Les relations avec le maître sont très tendues, moins qu'avec le psychologue quand même. Il me semble que ce sont les deux seules personnes auxquelles elle s'opposera. Elle ne s'opposera pas à ses parents, par exemple, même au moment de l'adolescence. Elle est étonnamment docile, mais par indifférence sans doute.

Elle ne semble pas faire de différence entre le statut social des personnes qui l'entourent : enfants, adultes, maîtres, élèves … En général, elle est beaucoup plus à l'aise avec les adultes qu'avec les enfants.

Le maître contribuera, malgré lui, à forger son statut de bouc émissaire qui la suivra jusqu'à la terminale. Il la place à part en classe (ce qui pourrait s'expliquer par le fait qu'elle sait lire), et la traite de sorcière, ce qui est repris bien évidemment par la plupart des gamins dans la cour (on ira jusqu'à l'enfermer dans une poubelle). Ses relations avec les autres enfants, qui étaient quasiment inexistantes, ne vont pas s'améliorer.

Quelques autres caractéristiques de son comportement durant la période 2-12 ans :

L'adolescence

Le collège sera pour Lila une torture au point de vue relationnel. L'arrivée en 6ème est particulièrement terrible, ce ne sera que le commencement d'un harcèlement qui durera, avec des variations, jusqu'à la terminale. Exemples : on essaie de lui enflammer les cheveux, de lui percer les mains avec crayons ou compas … bref, de la pousser à bout. Elle ne se plaint qu'exceptionnellement, et encore, il faut lui arracher les mots de la bouche. Par contre elle m'a avoué depuis, que son fantasme, à l'époque, était de faire tomber ses « tortionnaires » dans les escaliers.

Durant 7 ans, Lila va chercher à échapper aux autres, ne reconnaissant pas ceux qui lui veulent du bien de ceux qui lui veulent du mal. En 5ème, elle aura un petit groupe de copines, et en 4ème, elle se fera « jeter » par l'une d'elles, ce sera la fin de ses relations sociales avec les autres pour longtemps.

Dès qu'elle sort de la voiture, à son arrivée à l'école, elle change complètement de physionomie, se renferme, regarde ses pieds, rase les murs et cherche un coin pour se cacher. En terminale, elle quittera le lycée pendant les récréations pour aller courir en ville.

Au lycée, elle suit une option théâtre qui lui apportera une petite aide dans les relations de groupe ; au bout de 3 ans, en terminale, elle arrive presque à regarder ses partenaires en face.

En classe, elle intervient très peu. Par contre, elle peut s'investir dans un exposé et mettre toute sa force de conviction pour essayer de faire partager son avis (jusqu'à en pleurer paraît-il).

Elle se lie très occasionnellement à ceux qu'elle peut aider en classe (dans certaines matières, elle aide volontiers ceux qui ont du mal à suivre), cette tendance à rendre service est un de ses traits de caractère principaux.

Elle progresse, par contre, dans ses relations avec son entourage proche. Peu à peu, elle parvient à suivre une conversation et à s'ouvrir aux centres d'intérêt des autres.

À 16 ans, son livre de chevet est « Le guide des premiers secours ». Elle s'engage dans l'équipe de la Croix Rouge, elle obtient son AFPS, puis très difficilement son CFAPSE (secourisme en équipe), cela lui apporte beaucoup sur le plan humain, car elle peut se rendre utile, et elle est acceptée comme elle est. Elle ne se lie pas aux autres pour autant, mais il y a un réel progrès. De plus, cet engagement l'oblige à sortir de chez elle pour des réunions ou des postes de secours réguliers. Elle envisage un moment de suivre des études d'infirmière, mais elle est lucide par rapport à son manque de réactivité et y renonce.

À la maison, ses loisirs tournent autour de la lecture. Elle se passionne pour la BD et notamment les mangas, elle relit sans cesse les mêmes livres qui lui permettent d'alimenter son monde intérieur.

Dès ses 18 ans, elle a acheté une Gameboy (que nous lui refusions depuis 10 ans, pour qu'elle ne se renferme pas plus sur elle-même), et depuis, cette passion des jeux vidéo s'est ajoutée à celle des mangas. Elle fréquente régulièrement des groupes ayant les mêmes intérêts, mais sur Internet.

Quelques autres caractéristiques de Lila pendant la période 12-18 ans :

La vie à l'université (18-21 ans)

D'une façon qui nous a étonnés, Lila a choisi de quitter la maison après son bac pour suivre des études de lettres et sciences du langage. Elle est partie à 600 kms de chez nous, et a changé deux fois d'université en fonction des options proposées.

Nous pensions que sa rigidité ne lui permettrait pas de s'adapter à un autre environnement. Nous avions tort : malgré quelques incidents mineurs, elle a su trouver sa place et surtout, je pense, transporter son monde intérieur, tout en acquérant une indépendance matérielle.

Le regard des autres sur elle a, en partie, changé. Elle reste cependant une énigme pour son entourage qui a beaucoup de mal à la comprendre. La propriétaire de son logement à Bordeaux, une personne qui l'a beaucoup aidée, m'a dit au téléphone, qu'elle ne comprenait pas que Lila ait réussi à faire des études et qu'elle lui faisait penser à son frère trisomique. Elle a, cependant réussi à se faire 2 amies, à 20 ans ! Personne n'y croyait plus.

L'avoir entendue parler au téléphone avec son amie Céline, fut pour moi, un bouleversement et une de mes plus grandes joies. Je n'aurais jamais pensé qu'elle pourrait dialoguer de façon normale et détendue avec quelqu'un de son âge. Je ne remercierai jamais assez cette jeune fille de lui avoir tendu la main et fait confiance. Quel dommage que la distance les ait éloignées !

À Tours, elle ne s'est pas fait de relations, sauf avec une jeune fille amatrice de mangas qu'elle a connue par l'intermédiaire d'Internet. Elle a beaucoup souffert des moqueries et exigences des deux étudiantes qui partageaient une partie de son logement.

Lors de deux entretiens d'embauche pour des jobs d'été, elle a fait une impression désastreuse. Ceci m'a été rapporté, récemment, par une personne qui faisait partie du « jury » des employeurs.

Quelques caractéristiques de Lila pendant la période 18-21 ans :

J'ai découvert, en août 2003, dans « Sciences et avenir », un article sur le syndrome d'Asperger qui m'a beaucoup frappée. Je l'ai fait lire à Lila, nous sommes allées sur le site « Asperweb », et elle a fait le test proposé. Il a confirmé mes doutes. Nous sommes rentrés en contact, par Internet, avec des groupes de parents d'autistes. Une maman m'a indiqué les coordonnées du CIERA. Nous y avons rencontré un pédopsychiatre exceptionnel qui suit Lila depuis 6 mois maintenant, et l'aide à résoudre les difficultés du quotidien.

Lila a rencontré les membres de l'association Asperansa en novembre 2004. Pour nous, ses parents, ce fut la première fois que nous avons entendu des commentaires favorables à son sujet, nous avons enfin senti que des personnes étaient capables de la comprendre et surtout de l'apprécier. Nous les en remercions vivement. Jusqu'à présent, seule sa famille proche et son amie Céline étaient convaincues de ses qualités de cœur, et savaient l'accepter dans sa différence.

La mère de Lila.
Texte remanié et approuvé par Lila et son pére.




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