ugo est né en octobre 2000, après 42 semaines d'une grossesse plutôt sympa, quoiqu'un peu longue. Le terme étant dépassé, la naissance fut provoquée, et se déroula plutôt bien. Hugo mesurait 53 centimètres et pesait 4,230 kg. Il était attendu, espéré, évidemment le plus beau bébé du monde…
Je l'ai allaité pendant deux mois, il poussait bien, il dormait bien, il était très paisible pendant ses heures d'éveil… Et puis les mois ont passés, on massait beaucoup Hugo, les pieds en particulier, il adorait. Il pouvait passer plusieurs heures sur le dos, ou le ventre à regarder les ombres du soleil dans les rideaux, ou éclater de rire en regardant le chien. Quand on allait chez des amis, tout le monde le trouvait « circonspect », il ne souriait pas, fixait les gens puis détournait la tête… Nous, on le trouvait zen. Hugo s'est mis debout très tôt, vers 8 mois, et se déplaçait en se tenant aux meubles. Il a commencé à s'intéresser aux interrupteurs électriques, puis quand, quelques mois plus tard, à 11 mois et demi, il s'est mis à marcher, il a commencé à ouvrir systématiquement toutes les portes de placards, monter et descendre sans fin les escaliers, faire couler les robinets, allumer et éteindre les lumières, et cela partout où on allait… On a alors pensé qu'il était curieux, on essayait de lui proposer des jeux, mais rien n'avait réellement d'attrait à ses yeux. Quand on se promenait, il avait 14 ou 15 mois, il pouvait déjà marcher presque une heure, et déambulait les mains jointes dans le dos, et souvent. Il éclatait de rire sans raison, un rire saccadé, avec une voix très grave… Ça nous amusait beaucoup, on lui trouvait un air de ministre en campagne…
Et puis vers 20 mois il s'est mis à parler, très bien, avec une pointe d'accent « alsacien », en découpant ses mots. Il pouvait répéter la même phrase 40 fois. On l'encourageait à parler, il répétait nos mots, nos phrases, jusqu'à nos intonations. Le seul problème c'est qu'il ne disait pas un mot en dehors de la maison, ou de son entourage familier… Ou alors pour demander quelque chose qu'il voulait.
On habite au bord de la mer, et j'emmenais Hugo à la plage chaque jour. Il pouvait s'éloigner énormément, et si je ne voulais pas retourner avec lui dans l'eau, il venait chercher l'un ou l'autre de nos copains qu'il prenait par la main pour l'entraîner vers la mer. Il se baignait des heures, sans jamais manifester la moindre peur, même si une vague le submergeait. Je remarquais qu'il courait sur la plage d'une façon bizarre, sur la pointe des pieds, et sans utiliser les bras en balancier, comme le faisaient les autres enfants. Mais il courait vite, il était agile, souple et déluré, alors ça ne m'inquiétait pas plus que ça. Il était extrêmement indépendant, âpre, voire opiniâtre, mais je trouvais que c'étaient des traits de caractère intéressants. Il avait l'air volontaire et déterminé.
Comme il semblait si autonome, nous avons pensé que l'école serait un « jeu d'enfant » pour lui. Il avait deux ans quand nous avons fait la première tentative. Ca s'est soldé par un échec cuisant. Hugo hurlait, sans discontinuer, repoussant violemment toute tentative de prise dans les bras par la maîtresse ou l'Atsem. C'était tellement terrible que d'un commun accord on décida de repousser à la rentrée suivante l'expérience de l'école. Après tout, il était petit, il n'était peut être pas prêt ?
Hugo progressait magnifiquement par ailleurs, et semblait très heureux à la maison.
Il ne jouait pas beaucoup, sauf avec l'essoreuse à salade, il faisait tourner les roues de ses petites voitures, construisait des tours de cubes qu'il explosait ensuite… Il adorait écouter de la musique, classique en particulier, et nous demandait de repasser les mêmes morceaux, 5, 10, 20 fois… Il chantait, mal, mais il retenait tout ce qu'il entendait. L'été avant ses 3 ans, Hugo commença à refuser de porter des vêtements de couleurs autres que bleu, il devint de plus en plus difficile avec la nourriture, crachant carrément certains aliments sur le sol si la texture ne lui plaisait pas. Il ne mangeait plus à table avec le reste de la famille, mais déambulait avec trois rondelles de saucisson et deux olives et se nourrissait essentiellement de laitages. Je voyais bien qu'il n'allait pas vers les autres enfants à la plage, il escaladait les rochers et pouvait passer des heures près de l'eau, seul. Il parlait très bien, mais ne répondait pas quand on lui posait des questions, sauf si le sujet l'intéressait… Et il marchait toujours sur la pointe des pieds… Quand l'époque de la rentrée est arrivée, nous avons préparé Hugo longtemps à l'avance, expliquant comment les matinées se dérouleraient, faisant tout ce qu'on pouvait pour le rassurer. La rentrée de septembre 2003 fut une catastrophe. Hugo hurlait la première demi-heure, rampait sur le sol dans la classe, il ne voulait pas de contact avec les autres enfants, il pouvait se mettre à chanter à tue-tête du Mozart ou du Vivaldi pendant les activités, et l'instituteur ne savait pas quoi faire. Je voyais que quelque chose n'allait pas, et je remettais bien évidemment en question la façon dont nous élevions Hugo, cherchant quelles pouvaient être les causes de ses comportements si « radicaux ». Nous lui parlions beaucoup, et par ailleurs dès qu'il était avec nous à la maison, il était adorable, affectueux… Alors je décidai de prendre conseil auprès d'une de mes amies, qui est neuropsychologue, et puis de prendre contact avec la psychologue scolaire du RASED. Mais il y avait des délais d'attente, elle ne pourrait venir voir Hugo que le 8 novembre, à l'école.
Le 3 octobre, Hugo fêtait ses 3 ans. Nous lui avions offert un vélo, qu'il s'empressa de retourner pour faire tourner les roues au moyen du pédalier. Il avait l'air très content. J'étais inquiète, sans pouvoir mettre un mot sur les « bizarreries d'Hugo » qui devenaient de plus en plus évidentes. Et puis un soir, tandis que tout le monde dormait, je zappais sur les chaînes de la télé, quand je tombai sur une émission, « Ca se Discute ». J'écoutais d'abord distraitement des parents qui racontaient quels avaient été leurs parcours respectifs avec leurs enfants… Je ne savais pas quel était le thème de l'émission, mais je restais assise, et je regardais : et soudain un reportage me scotcha littéralement sur place, j'entendais les témoignages des parents, je voyais l'enfant devenu un jeune adolescent, les commentaires sur l'apparition des premières « bizarreries », vers 3 ans, leur nature, et TOUT était semblable à ce que je connaissais avec Hugo ! Mes poils étaient hérissés sur mes bras, j'avais envie de pleurer, j'écoutais avec avidité, attendant l'intervention de la pédopsychiatre qui était sur le plateau pour comprendre de quoi on parlait… Et j'entendis les mots qui furent prononcés, pour la première fois, autisme de haut niveau sans retard d'apparition du langage, syndrome d'Asperger…
J'ai su à ce moment là ce qu'avait mon enfant, avec certitude. Et une peur sans nom.
Quelques jours plus tard, après avoir beaucoup réfléchi, je téléphonais à mon amie neuropsychologue, pour lui demander son avis. Le silence blanc qui précéda sa réponse confirma ce que je sentais. Elle me dit avec beaucoup de délicatesse qu'elle pensait qu'Hugo présentait effectivement des comportements autistiques, que les symptômes devenaient évidents l'année des 3 ans des enfants concernés, et qu'il était bon que je l'emmène voir un pédopsychiatre… Nous avons longuement parlé, et par la suite notre amie neuropsychologue a été un soutien de toutes les heures noires…
J'en parlai alors à mon compagnon, le papa d'Hugo, qui réagit sur le coup en me disant que c'était n'importe quoi, qu'Hugo était petit, et que ça passerait… Je pris quand même la décision de téléphoner à l'hôpital à Brest pour avoir un rendez-vous. La secrétaire qui me questionna me rappela alors pour me proposer un rendez-vous pour le 10 décembre, avec un médecin spécialiste … de l'autisme. Un mois et demi d'attente, l'enfer ! Je me sentais seule, triste à pleurer, de surcroît en proie aux attaques ciblées de nos familles respectives, l'horreur totale. Pendant ce laps de temps, la psychologue du RASED, s'était déplacée plusieurs fois à l'école, plusieurs heures d'affilée pour voir Hugo, puis nous l'avions rencontrée à plusieurs reprises, et ses observations allaient aussi dans le sens d'une forme d'autisme. Je tiens d'ailleurs encore à la remercier pour la douceur dont elle a fait preuve, son professionnalisme et son humanité. Elle nous assura de son aide pour les démarches auprès de l'école et des administrations (CDES), et nous encouragea à consulter. En attendant ce rendez-vous dont je pressentais déjà l'issue, je consultais sur le net tous les sites traitant d'Autisme, et en particulier du syndrome d'Asperger : j'imprimais toutes les échelles d'évaluation que je trouvais, les articles, descriptions, témoignages, que je faisais lire au fur et à mesure au papa d'Hugo. Nous avons rempli les « échelles », l'un après l'autre, en essayant d'être objectif, et plus nous obtenions d'informations, plus il semblait évident qu'Hugo présentait TOUTES les particularités du syndrome d'Asperger…
La première rencontre avec un pédopsychiatre de Brest a eu lieu le 10 décembre 2003. Nous avons passé 1h30 avec lui, tandis qu'Hugo avait investi le cabinet de toilette attenant à son bureau, et jouait avec l'eau, ou avec les interrupteurs, ou les portes, en apparence indifférent à ce qui se passait ou se disait. Ce pédopsychiatre a été formidable avec nous, humain, déculpabilisant, rassurant même, puisque qu'Hugo, en dehors de ses particularités lui semblait un petit bonhomme plutôt heureux et débrouillard. Cette entrevue a été la première d'une longue série d'échanges et d'observations, de demandes de conseils de notre part, et d'adaptation à des méthodes éducatives dont Hugo a besoin pour s'épanouir… Jusqu'au mois de mars 2004 où le médecin a posé le diagnostic officiellement par écrit. Nous avons alors entrepris le parcours du combattant auprès de la CDES, pour obtenir l'Allocation d'Education Spécialisée, devant passer des heures à décrire, et justifier chaque comportement d'Hugo, l'obligation dans laquelle j'étais d'abandonner tout espoir de retravailler, puisque Hugo a besoin d'être accompagné dans tous les actes de la vie quotidienne…
Dès l'âge de 2 ans et demi, Hugo a commencé à multiplier les crises de larmes. Il explosait soudain en sanglots, devenant blanc comme un linge, avec des tremblements de la machoire inférieure, et une augmentation très nette de sa température. Cela pouvait durer une demi-heure, et il était totalement inconsolable. On s'est rendu compte qu'il ne pleurait pas quand il tombait, ou se cognait.
Chaque trajet en voiture devait être précédé de l'ouverture du capot, et Hugo voulait voir la courroie de l'alternateur tourner, et les pales du ventilateur, on ne pouvait démarrer que quand il était « prêt ». Il entrait dans des colères terrifiantes, pour un objet mis à une place qui ne lui convenait pas (il m'a fallu décoller des carreaux de miroir d'un mur parce qu'il était « bloqué » et ne pouvait pas changer d'idée).
Il refusait de porter le moindre vêtement neuf, sujet à de réelles crises de terreur si on « insistait », et pour accepter de mettre des nouvelles chaussures, il faut encore les acheter 3 mois à l'avance pour qu'il ait le temps de s'y habituer visuellement, de détailler quels types d'empreintes elles laisseront sur le sable, etc, avant qu'il n'accepte de les porter.
Il se tapait sur le ventre, le poing fermé, pendant ses crises, ou se tirait les cheveux, et pour le calmer, qu'il pleuve à torrent ou qu'il vente, il fallait sortir démarrer le moteur de la voiture, deux fois de suite, et qu'il regarde les pales s'arrêter de tourner avant de pouvoir rentrer. Il récitait des passages entiers de films dès le réveil en guise de bonjour, et pouvait répéter la même question des dizaines de fois de suite. Parfois, ses mots s'embrouillaient, il n'arrivait plus à parler, alors on lui faisait faire des exercices de respiration profonde pour qu'il puisse reprendre son fil.
Notre vie sociale a été réduite à peau de chagrin. Il arrivait qu'Hugo refuse qu'on détache sa ceinture de sécurité, refuse en hurlant de sortir de la voiture, et nous étions obligé de rentrer à la maison. Même chez nos amis proches, auxquels on a expliqué ce dont souffrait Hugo, il fallait prendre des précautions, et nous étions si mal à l'aise face à ses cris répétitifs, ses manies multiples, et la tension qui habitait Hugo qu'on écourtait nos visites.
Les gestes de la vie quotidienne nécessitent notre aide constante : Hugo ne se nourrit pas seul, ne s'habille pas seul, a peur des shampoings — le seul lieu où il accepte de se laver les cheveux, c'est à la piscine le dimanche matin, et uniquement là —… Il continue de s'alimenter avec des biberons, mais refuse toujours de les tenir tout seul. Dans les magasins, Hugo pouvait soudain se jeter sur le sol et crier qu'il fallait partir. Et il fallait vraiment partir toutes affaires cessantes.
Il pouvait passer des heures à imiter le bruit d'une perceuse, ou d'un outil quelconque, mettant à rude épreuve les nerfs de son frère et sa sœur, et les nôtres. Il a eu besoin de pouvoir identifier tous les bruits de tous les objets ou machines de la maison, et de tous les endroits où nous allons. Il est passionné par les portes automatiques des magasins, par les extracteurs de fumée ou d'humidité, et peut passer un temps considérable à les regarder et écouter le ronronnement des moteurs. Il déteste les pleurs des bébés, et, même dans les films, il partait en courant quand, dans une séquence, un bébé pleure… Face à des émotions, même positives, il fait volte face et peut partir se cacher, ou lever un bras replié en écran. Toutes ces manifestations existent encore à ce jour chez Hugo, même si elles sont moins fréquentes.
Par ailleurs, Hugo connaît tout l'alphabet, commence à repérer des mots, sait utiliser un ordinateur et les commandes d'accès à ce qui l'intéresse, des jeux vidéos à l'accès à Internet, sait compter jusqu'à plus de 100, connaît les panneaux du code de la route, a un vocabulaire extrèmement élaboré, très riche et un peu « vieille France », et une syntaxe incroyable pour un enfant de 4 ans !
Nous avons appris à gérer ses angoisses, nous nous adaptons en permanence à son état, et avons appris à l'« accompagner » et lui expliquer le monde, pour ne pas le laisser seul face à ce qu'il ne perçoit pas ou ne sait pas décoder… Et nous nous occupons tout de temps de lui, en relais son père et moi, pour trouver un peu de temps pour souffler…
Il refuse d'être gardé par qui que ce soit, ou de dormir ailleurs qu'à la maison… Nous avons dû fournir à plusieurs reprises des certificats médicaux, des courriers en tout genre, et finalement, après un entretien téléphonique avec le médecin de la CDES qui s'est montrée compréhensive, nous avons pu obtenir une allocation de Catégorie 3. Décision qui sera réévaluée en septembre 2005…
Pour ce qui concerne l'école, notre pédopsychiatre s'y est rendu, pour expliquer à l'équipe enseignante comment fonctionne un enfant autiste de haut niveau, comment fonctionne Hugo. Certes notre enfant a besoin d'aménagements, il ne va pour l'instant à l'école que le matin, et nous espérons bien obtenir une auxiliaire de vie pour la rentrée 2005/2006. Certes, nous avons eu la chance que les directrices successives, Laurence Coulvier puis Melle Le Méan, et les instituteurs Pierre Raffenne et l'Atsem Pascale Binet, puis Fabienne Minaud et l'Atsem Christine Pape s'investissent réellement auprès d'Hugo, fassent l'effort de lire les documents que nous leur avons fournis, acceptent d'être « dérangés » par Hugo, mais aussi de tout mettre en œuvre au sein de la classe pour l'intégration d'Hugo, pour son acceptation dans sa différence par les autres enfants. Et je les en remercie.
Depuis, nous continuons de voir régulièrement le pédopsychiatre qui a diagnostiqué Hugo, nous avons rencontré par son intermédiaire d'autres parents d'enfants Asperger, si semblables à nous dans leur parcours et leur expérience, avec qui nous avons décidé de fonder notre association ASPERANSA ; notre petit garçon a un syndrome d'Asperger. Il a un mode de fonctionnement différent, mais il est surtout un être particulièrement intéressant, passionné par la musique classique, les moteurs, les lumières de toutes sortes, les transformateurs électriques et les ordinateurs, qui donne envie de s'investir pour lui faciliter la vie dans ce monde, et avec la sienne celle de tous les autres enfants autistes.
Anne