Discours témoignage N°1, journée du jeudi 5 décembre 2013 à Hillion.
Bonjour,
Tout d'abord, malgré le peu de temps qui m'est autorisé, je souhaite remercier les organisateurs et participants de cette journée de nous permettre, Mme Bourel et moi-même, de prendre la parole, ne serait-ce que pour exprimer l'urgence de mettre en place ces bonnes pratiques recommandées.
C'est utile aussi, d'écouter ce que peuvent dire les usagers, les parents, les personnes touchées par le handicap, à l'heure où les techniciens gestionnaires prennent de plus en plus la parole à notre place dans les réunions décisives.
Il est plus que temps d'arrêter les dommages collatéraux, parce que ces méthodes ne sont pas pratiquées sérieusement dans les établissements. Trop de mamans ou pères d'autistes enfants, ados ou adultes, comme moi, sont contraints de s'arrêter de travailler, de sacrifier leurs vies personnelles et professionnelles.
Alors, là, si, enfin, ces méthodes commençaient à être appliquées avec tout le respect qu'elles méritent, je crois qu'on pourrait sauver bien des vies, éviter bien des maltraitances graves et surtout permettre à des milliers d'autistes de regagner leur dignité, et même, de cela on en parle jamais, de redorer le moral des aidants en général, des personnes qui en ont choisi le métier.
Maintenant, je vais vous parler de la prise en charge de mon fils qui est née de la pure « débrouille » bricolée et inspirée de toutes ces méthodes. Je vous mets en garde, je ne suis donc pas du tout un modèle du genre, je suis juste une mère comme beaucoup d'autres en France, avec ses qualités et ses défauts, qui doit faire face au handicap de ses enfants.
J'ai deux enfants qui sont tous deux autistes, Brieuc, le beau gosse sur la photo, dont on va plus parler aujourd'hui qui a 14 ans, diagnostiqué autiste typique. Il est très peu verbal et est depuis 6 ans pris en charge à la maison (et bientôt intégré peut-être en IME). Je suis aussi maman d'Héloïse, autiste haut niveau de 11 ans, scolarisée à plein temps en 6ème avec un temps d'AVS bien évidemment, pas aussi élevé que nous le souhaiterions et pour lequel nous allons devoir batailler d'ailleurs. En effet, il y a encore du chantier pour faire reconnaître l'inclusion de nos enfants autistes en milieu ordinaire, qui coûte pourtant beaucoup moins cher à la société qu'un placement en institution spécialisée. Il y a des lois, et il y a les droits de l'homme aussi, mais ça ne suffit pas encore.
Je suis présidente d'une association d'usagers appelée Autisme Breizh Autonomie, et vice-présidente du Collectif d'Entraide Handicap 22, le CEH22. Créé depuis mars 2013, il est constitué de 19 associations gestionnaires et d'usagers, de tous bords et qui militent pour faire respecter les droits des personnes touchées par le handicap dans le département. J'en profite en passant pour saluer aussi tous mes collègues associatifs du CEH22 justement, et du Collectif Autisme Bretagne avec qui mon association collabore au diapason côte à côte vers des démarches communes, parce qu'il est essentiel que nous soyons unis pour avancer.
Mais cet après-midi.
Je vais tenter, en très peu de temps, de vous livrer des petits éléments de ci de là pour vous illustrer comment nous sommes parvenus à inverser la tendance pour aider notre fils, même si je ne pourrais pas vous raconter toute l'histoire !
Ce jour-là, mon époux et moi-même avons pris conscience que notre vie ne serait plus jamais la même.
Pendant plus de 4 ans, il a été pris en charge dans un hôpital de jour du département. Au départ, on y croyait, nous étions contents qu'il ait obtenu une place, on se disait que les professionnels qui l'entouraient allait l'aider à évoluer, à prendre de l'autonomie. Quels naïfs alors nous étions !
Parallèlement, Il a été scolarisé jusqu'au CP, je vous passe les détails, c'était réellement une performance pour lui et ses enseignants, nous n'étions pas du tout aidés, nous avions tous des difficultés avec Brieuc. La machine à perdre se mettait inéluctablement en place.
Puisqu'on ne savait rien, j'ai commencé à suivre des formations spécialisées petit à petit. Et peu à peu, j'en suis venue à m'interroger sur la compétence des personnes qui entouraient régulièrement mon fils pour qui, très progressivement, dès ses 6 ans, on commençait à proposer de le mettre sous neuroleptiques, victime d'hallucinations paraît-il, alors qu'il n'était même pas verbal, cherchez l'erreur …
De cette période je garde vraiment la vision d'un grand mur opaque, on communiquait sans communiquer, nous avions très peu d'informations, nous perdions énormément d'énergie pour rien, et le temps passait et Brieuc n'apprenait rien … un beau gâchis en vérité.
Il a commencé à mordre, à griffer, pincer vers ses 4 ans, et forcément, petit, ça passe, on arrive encore à gérer mais une fois plus grand cela devient vite plus compliqué.
Nous ne sommes pas anti-médicaments, je tiens à préciser que Brieuc a été mis sous neuroleptique deux fois, la première parce qu'on y était bien poussé par le personnel du sanitaire, la seconde à un autre moment trois ans plus tard, parce que, épuisée nerveusement et physiquement, je ne pouvais plus faire face à ses attaques qui en un an avaient resurgi vers ses 10 ans et demi, de façon plus importante.
Je dois bien dire que le seul avantage que j'y ai trouvé c'était qu'il s'endormait beaucoup plus vite, c'est toujours mieux à prendre que les nuits blanches, par contre ça ne résolvait rien du tout, parfois même cela empirait largement les problèmes de comportements divers déjà existants.
À ses 8 ans, nous avons décidé de stopper l'hôpital de jour dans lequel il ne progressait pas, et comme aucun établissement n'était capable de le prendre en charge face à ses troubles du comportement, et n'était de toute façon absolument pas spécialisé dans l'autisme, nous l'avons pris à plein temps à la maison. L'avenir de notre enfant et le nôtre était en jeu. Révoltée, j'ai été obligée de m'arrêter de travailler, et là j'ai suivi encore plus de formations spécialisées dans l'autisme, pour essayer d'avancer.
Je n'ai jamais rêvé de faire ce choix, et ce n'a jamais été une fantaisie de ma part.
Quand vous avez un enfant qui agresse, toutes les portes se ferment, on vous regarde encore plus de travers, personne n'en veut : donc pas d'école, pas de loisirs adaptés, on veut bien vous l'inscrire sur la liste mais on ne vous le prendra jamais, pas d'établissement, sauf si vous acceptez de lui faire avaler plus de neuroleptiques pour tenter de lui endormir le cerveau, le calmer, même s'il en portera des séquelles toute sa vie, alors que c'est déjà très compliqué pour lui déjà dans sa tête et la nôtre.
Personne ne sait quoi en faire, sauf une chose, le renvoyer chez ses parents, morts de honte, qui se demandent bien comment faire, et comment il va apprendre quelque chose, parce que là, c'est très très mal parti pour lui !
À 11 ans, après un parcours qui n'a pas été un long fleuve tranquille, nous avons fini par mettre en place un accompagnement orienté vers l'Analyse Appliquée du Comportement et, avec le volet aide humaine PCH grâce à la MDPH, nous avons obtenu de pouvoir rémunérer deux personnes 14 heures dans la semaine (ce qui fait qu'il nous reste encore quand même 151 heures à notre charge). À l'heure actuelle, c'est toujours nous-mêmes qui devons former ces personnes à l'autisme à chaque fois.
À cette époque, j'ai dû me battre pour essayer de rencontrer de vrais professionnels compétents. J'ai été soutenue par les associations d'usagers, rien de tel que le canal des parents, même si leurs moyens sont souvent limités, et qu'il faut aussi aller voir ailleurs, faire des kilomètres tant qu'on peut encore faire garder les enfants.
Nous habitons à Paimpol. Nous sommes doublement victimes de notre isolement géographique, qui n'intéresse pas ou peu les spécialistes de l'autisme, et nous sommes révoltés de devoir penser que nous sacrifions nos enfants, en restant dans une région que nous avons choisie et que nous aimons.
Je voudrais chaleureusement remercier la psychologue Margot Courtilliers qui vient chaque mois, qui ne nous a jamais lâchés, au contraire, les incroyables bénévoles de Brieuc que nous avons rencontrés grâce à la méthode des « trois I » et qui nous ont réconciliés avec la société en rompant l'isolement dans lequel nous étions, sa mamie Joëlle, son orthophoniste Mme Duchatel-Gaussin, son pédo-psychiatre le docteur Lemonnier, et toutes les autres personnes qui lui permettent encore ou qui lui ont permis de progresser, Sophie Martinot, Pauline Guillet, à Nantes, Natacha M'Baye, une jeune monitrice éducatrice qui a su lui redonner le goût de la musique … Cherice Cardwell dont les rencontres ont été rares mais extrêmement déterminantes. Toutes les personnes qui sont intervenues à notre domicile ou que j'ai rencontrées en dehors pour lui, lors des formations.
Je précise en passant que je peux être là devant vous parce que 4 personnes, dont mon époux, vont se relayer auprès de lui aujourd'hui.
Nous travaillons sur le comportement, en nous aidant des procédures, même si on a vraiment pas les moyens matériels et financiers. Nous ne pouvons pas faire les choses de façon intensive. Il n'y a pas eu de miracle, mais nous avons été guidés régulièrement, et Brieuc n'agresse plus du tout depuis plus d'un an, et il était grand temps ! Aujourd'hui, à 14 ans, il mesure la même taille que moi, et chausse du 43 !
Les premiers outils absolument indispensables à mettre en place et à ne jamais lâcher, ce sont bien l'emploi du temps et les pictogrammes (en plus d'un système de communication). Vous avez celui de la caravane au milieu, celui de la maison ; un autre fabriqué avec un protège-bureau, pour les changements de domicile si nous partons.
Récemment je viens d'en faire un plus petit, moins chargé, pour les intervenants de Brieuc, pour qu'ils n'oublient plus de lui faire enlever les pictos au fur et à mesure des activités. Je dispose de deux énormes classeurs de pictogrammes, j'en ai à d'autres endroits dans la maison, et je construits encore des supports, par exemple comme pour apprendre à mesurer son utilisation du sel, ou plus classiquement, pour mettre le couvert.
Le travail sur table accompagné d'une bonne analyse du comportement, du pairing et de son évaluation, ont complètement permis à Brieuc de changer, de retrouver une certaine estime de soi et une grande confiance en nous.
Au départ, à 11 ans, il ne tenait pas une minute à table, maintenant il peut rester une heure sur une séance. En nous appuyant sur ce qu'il aime, ses renforçateurs, ses motivateurs qui sont les livres notamment, et le chocolat aussi, tout de même, de temps en temps !
Ce travail spécifique nécessite des comptes-rendus, des grilles de cotations utilisées quotidiennement et une très grande collaboration, la plus régulière possible, afin de bien définir tous les paramètres, les stratégies à adopter, parce que vous vous doutez bien que Brieuc ne manque pas de ressources stratégiques, lui aussi.
Je supervise tous les intervenants comme je peux, afin que nous agissions tous de la même manière, ce qui demande une étroite collaboration et une formation continue, mine de rien.
Je tenais à vous montrer des diapos des séances d'orthophonie, parce que cette professionnelle fait vraiment avec Brieuc un travail admirable, que lui-même prend assez au sérieux, même s'il peut avoir pas mal d'humour de son côté, parfois. Là aussi, il y a une grande communication entre son travail professionnel, le travail des autres intervenants et celui qui est fait au domicile. Brieuc y va chaque semaine, et travaille aussi, bien évidemment, sur la communication par échange d'images (PECS) et la lecture, entre autre. Nous nous appuyons le plus possible autour des éléments de son quotidien dont il a besoin.
Brieuc, aujourd'hui, c'est plein de petites victoires, il n'agresse plus comme avant, il rentre dans les apprentissages, et il n'y a eu aucune maltraitance.
Il est loin d'avoir l'accompagnement dont il aurait besoin en réalité, on ne pourrait pas fournir 2000 € par mois de toute façon … Et pourtant, cette somme d'argent est bel et bien dépensée dans des hôpitaux de jour, en 4 jours seulement pour la seule prise en charge d'un autiste. Dommage qu'elle soit si mal répartie.
Je peux vous dire qu'il n'a plus aucun neuroleptique depuis deux ans, il a juste un traitement assez léger pour le moment contre l'épilepsie, et prend de la mélatonine pour s'endormir.
Depuis fin octobre de cette année, il prend le Burinex grâce au docteur Lemonnier. Ce traitement agit déjà vraiment très positivement.
Je ne regrette pas d'avoir fait ce choix d'avoir mis ma vie entre parenthèses, même s'il reste encore tant à faire avec lui, mais le prix de cette liberté est élevé humainement et financièrement. Je n'aurai pas de retraite.
C'est une double peine qui ne sera jamais reconnue par l'État. J'ai aussi de la chance, parce que notre couple tient encore, c'est rarement le cas chez les parents d'autistes. Certaines études parlent d'un taux de 80 % de divorce, une recherche canadienne dit très justement ceci : « les pères, comme les mères, sont touchés par les défis de l'éducation d'un enfant atteint de TSA. En outre, ces défis ne sont pas limités aux années parentales précoces, mais s'étendent à l'adolescence et l'âge adulte ».
Même si nous sommes différents, avec nos enfants extraordinaires, nous n'en sommes pas moins une famille comme les autres. J'ai toujours refusé que le handicap nous empêche de partir, de voir au-delà.
C'est loin d'être toujours facile, il faut s'adapter aux besoins des enfants tout en négociant nos aspirations, souvent à baisser d'un cran, mais ça vaut le coup ; on se donne des petits challenges, mon sac, et le sac à dos de Brieuc sont remplis de petites choses pour essayer d'anticiper, si un imprévu quelconque se présentait.
Ce n'est pas parce que nos enfants sont différents que nous devons les cacher.
Ce n'est pas parce que nos enfants sont différents que nous devons être tristes, réservés, cloisonnés entre quatre murs, bien au contraire, ne serait-ce que pour montrer que les personnes avec autisme sont des citoyens à part entière, comme vous et moi, et que nous pouvons tous vivre ensemble en apprenant à mieux nous connaître, et cela n'empêche pas de créer le plus possible un environnement adapté. Franchement on peut tous y gagner.
Nous n'avons qu'une vie, à nous de la rendre la plus belle possible. Les moments difficiles sont importants pour la mémoire, et essayer de faire en sorte que d'autres familles ne revivent pas la même chose, mais ces sont les plus beaux souvenirs qu'il faut garder, et c'est ceux-là comme les petites victoires qui nous permettent d'aller de l'avant.
Alors professionnels, parents, travaillons vraiment tous ensemble, et mettons en place ces outils puisqu'on sait qu'ils sont impérativement nécessaires et efficaces.
Notre avenir à tous est en jeu. Je peux vous dire que nous les parents d'enfants, d'ados, adultes, en avons assez d'être des Robins de Bois, cela fait quarante ans que ça dure, il est plus que temps de faire évoluer les pratiques, encore plus ici dans le département (22).
Avant de se quitter, et de laisser enfin la parole à Florence qui s'exprimera au nom de tous les parents, je voudrais juste clore mon propos avec un conseil, notamment aux parents : « Ne renoncez jamais ! »
Merci de votre attention.
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